dimanche 19 mars 2017

En période trouble, miser différemment sur ses salariés



Le luxe inconscient

 

Trois Suisses (pertes, rachat) , La Redoute (vendue pour 1 euro symbolique), Fnac (rachat), Quelle (filiale kaput !),  annonce de la vente du groupe TATI en mars 2017… ceux qui n’ont  pas anticiper  ce vieux truc de l’e-commerce (en son temps) en ont payé le prix fort…  On peut y ajouter, plus proche du monde mutualiste, la CAMIF, réputée jadis être un « fleuron insubmersible de l’économie sociale », rien que ça … 

Il y a certes la concurrence, l’environnement externe mais tout autant, et tout aussi dangereusement parfois, la culture interne des entreprises pourtant condamnées à tenir compte des évolutions du  monde extérieur … et qui l’oublient parfois, ou en prend conscience collectivement trop tard, quand les chiffres s’effondrent ou sont sous perfusion.

Dans les années 90, voir 2000, les Cassandre de l’e-commerce ont sans doute été perçus comme de doux rêveurs, ou de détestables opportunistes,  par certaines des entreprises qualifiées de « vieilles mamans », des vieilles dames tout autant adorables que parfois riches de convictions quant à leur position sur leur marché ; une position de confort aussi quant à leur organisation, à la fois ronronnante et grinçante, selon les humeurs, mais très centrées sur elles mêmes et sur leurs relations internes , sociologie d’entreprise oblige. 

Kodak, inventeur de l’appareil photo numérique, est morte pour n’y avoir pas cru. Son ingénieur  de génie, Steve Sasson, a présenté son invention de la taille d’un four à micro-onde, dans une réunion, un beau matin … Ce qu’il présentait ce jour là n’était ni plus ni moins que la planche de survie de la géante Kodak , alors en quasi situation de monopole sur le marché de l’argentique … et qui tardera bien trop pour diversifier son activité,  vers le numérique notamment.

Quel « luxe inconscient » que ces tensions internes et/ou cette inertie entretenus pourrait on dire aujourd’hui, à propos de certaines des entreprises aujourd’hui disparues.

La sociologie d’entreprise  explique à bien des égards ce que les seules logiques économiques ne peuvent expliquer. Il est peut-être temps de réembaucher des saltimbanques et des fous du roi dans les conseils d’administration et comité de direction pour réguler les rapports humains soumis chaque jour à de fortes tensions, et leur donner "un bol d'air frais".

 Les egos, les habitudes, les vanités, les orgueils, les peurs, les zones de confort, les tensions sociales, les fatigues, l’absence d’équilibre social, l’avidité et les ambitions personnelles,  sont parfois bien plus une menace que la concurrence. 
La survie des entreprises dépend peut-être bien aujourd’hui, plus encore qu’hier, de la richesse humaine en action et de la marge de manœuvres qui lui est laissée au sein des « vieilles organisations Taylorisées ».

A l’heure où le salarié est souvent vu comme un ETP, un poste de coût, ne pas négliger la capacité d’innovation et de rebonds phénoménale que des milliers de cerveaux en action  peuvent engendrer ensemble est peut-être une voie d'action à creuser  dans l’organisation taylorisée (les idées émergent souvent là ou on ne s’y attendait pas, et ce n’est pas une affaire de diplôme et de parcours académique… les anglo-saxon le portent d'ailleurs plus volontiers dans leur culture que les français)

Cette forme d’investissement, plus centrée sur ses ressources internes, n’est pas à négliger…  et ça ne passe pas par une « boîte à idées », mais un état d’esprit général, partagé et égalitaire où la hiérarchie se fait plus « humble ».
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Une  transformation en profondeur des grandes organisations s’impose-t-elle ? 

 

Sans doute oui, mais laquelle ?

Créer des espaces de travail plus libres, plus en rupture avec l’organisation des grosses structures d’entreprise est probablement nécessaire. Cela répond aussi, quelque part, à une attente pour certains salariés, une envie aussi de sortir des sentiers battus … et de l’ennui profond du travail prescrit fait de procédures inévitablement imparfaites qui ignorent l’imprévu et le sens de l’adaptation en milieu complexe, mouvant et instable (attention tout n’est pas si simple pour sortir du taylorisme, il n’existe pas de « bon modèle »,  lire l’article sur l’entreprise libérée http://bit.ly/2nohMAO)

Réaliser ces espaces  « innovants » sans pour autant tout renier de sa culture, de son organisation, de ses zones d’efficacité tangibles (c’est comme la bonne santé, on en parle pas ou rarement) , de ses valeurs, bref sans jeter bébé avec l’eau du bain, est délicat :  le risque de tomber dans l’injonction permanente et de provoquer le rejet est à juguler, un équilibre est à créer entre des « mondes ouverts ou à ouvrir », « les habitudes à prendre, et celle qu’il serait bon d’abandonner ».


Eviter de plaquer des modèles clefs en main et, entre l’ancien, l’actuel et l’avant-garde,  tenter de construire de solides passerelles, techniques, organisationnelles, comportementales et sociales pour réussir une transformation parait un principe refondateur pour une organisation amenée à s’adapter.

Un (difficile) consensus d’approche dépassionné qui se voudrait équitable, sur tous les plans, y compris humains et social pourrait-être un pré-requis facilitant, et peut-être même, le facteur clef d’un succès  durable, ou de survie au-delà de 25 ans pour certaines entreprises... 

Miser sur ses salariés


Les entreprises mutualistes, parce que sans actionnaire et uniquement dépendantes de la pression du marché (qu’elles exercent par leur modèle, encore aujourd’hui du moins), ont elle aussi et là encore une carte à jouer.

Une approche « uniquement » par les coûts, assumée ou non, pourrait au passage être en contradiction forte avec le but poursuivi.  Il y  a une limite mathématique à la logique de coût : la fermeture de l’entreprise étant le coût zéro (merci Joseph Schumpeter).

Les grandes compagnies à caractère capitalistique disposent de puissants moyens financiers: l’investissement d’AXA dans une seule start-up  (blockchain) dépasse de plusieurs fois le budget global de certains de leurs concurrents dans ces mêmes investissements : la mutualisation des budgets de recherche et développement est sans doute une voie d’avenir …


Les bancassureurs, en proie au doute, et à l’affut ont peut être un pari et un investissement humain  à réaliser et à tenter (un pari un peu fou au regard du courant actuel), en misant sur leurs salariés différemment, car un gisement colossal d'idées, de savoirs et de compétences est encore inexploité.
Ces compagnies ont bien compris qu’une page était en train de se tourner, et que la prochaine page s’écrira, avec, ou sans elles…avec toutes les déclinaisons possibles .

Vélocité, souplesse, équilibre social seront peut-être les prochains piliers d’une transformation heureuse et réussie. 1000 cerveaux auront toujours plus de potentiel qu’un seul !

On dit que la chance sourit aux audacieux … cela semble encore se vérifier régulièrement, et plus que jamais, de nos jours.

Les responsables RH ont du pain sur la planche pour faire comprendre que l'innovation n'est pas une boîte à idée ou une boîte dans un organigramme, mais un liant intrinsèque à la configuration même de l'organisation dans son ensemble, véritable charpente d'une culture d'entreprise.






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